Léo Scheer est plutôt connu comme un éditeur atypique.
Il blogue, a développé le concept de manuscrits en ligne (M@nuscrits) sur son site.
Il joue avec la médiatisation tout en restant discret, rigoureux et ouvert.
Evidemment l’envie de l’interviewer me démangeait depuis longtemps… Et bien voilà c’est fait puisque vous allez pouvoir découvrir de lui tout… ce qu’il aura bien voulu dire !;)
A noter que Léo Scheer est né en en Allemagne en 1947 dans un camp de réfugiés et a suivi un parcours sans faute, rempli d’études, de projets, de rencontres et d’ambitions.
Depuis 2000 il est à la tête des Editions Léo Scheer, ok ce n’est pas original comme nom mais je pense que cet homme a vu juste, il est aussi devenu une marque reconnue.
C’est plutôt joli de voir comme l’on peut faire de soi un objet, une vitrine et pousser les autres à venir vers vous, non ?
-Léo, après un parcours fait de divers chemins : sociologie, recherche, stratégie d’entreprise, nouveaux medias (Canal+, TV6), création, philosophie, littérature vous sauriez déjà dire ce que vous avez préféré vivre comme aventure ?
Elles sont toute un peu de la même nature : faire passer de l’imaginaire dans le réel, mais celle dans laquelle j’avance actuellement est sans doute la plus singulière.
D’abord, parce que je viens d’avoir 60 ans et que, théoriquement, c’est un âge où l’on est supposé renoncer aux aventures, ensuite parce qu’elle réalise la synthèse de mes différentes passions personnelles. Débuter à mon âge dans un de ces très anciens métiers qu’est l’édition et se frotter à la mutation que représente l’Internet pour l’avenir du livre est une drôle de gymnastique. L’édition suppose un temps très long, il faut vingt à trente ans pour bâtir un catalogue et imposer une marque, l’Internet, lui, passe par une réactivité quasi instantanée et les images se font et se défont en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
-Etre éditeur et tenir un blog, cela vous apporte quoi ? Un outil de communication ? Une vitrine supplémentaire ? Un plaisir personnel ?
Ce blog est particulier : c’est un blog collectif, celui de la maison d’édition qui porte mon nom. Je l’ai d’abord conçu comme un outil de communication interne qui permet à toute l’équipe d’être au courant des préoccupations de chacun, de suivre l’actualité de notre vie professionnelle et de savoir ce que j’ai en tête au jour le jour. Je ne pensais pas que cela pouvait intéresser grand monde à l’extérieur de la maison. Et puis, j’ai été surpris de voir exploser les statistique de visites. Progressivement, s’est constituée autour de nous une véritable “communauté” qui se manifeste à travers des commentaires souvent très riches, toujours intéressants. Outil de communication, vitrine supplémentaire, oui, bien sûr, mais c’est plutôt le site des Éditions Léo Scheer qui joue ce rôle et permet de tenir informés, les libraires, les représentants, les journalistes, les auteurs et, de plus en plus, les lecteurs.
Le blog est une sorte de locomotive pour tout cela et permet d’attirer l’attention sur l’actualité du moment et surtout de l’anticiper : j’y parle de plus en plus de projets, qui ne sont pas encore complètement mûrs et que le dialogue avec les internautes me permet de consolider. Ainsi, lorsque l’année dernière, j’ai lancé les Prix “B”, “B” pour blogosphère, avec 9 Prix Goncourt, Renaudot, Fémina etc différents des réels, j’ai vu surgir une multitude de critiques littéraires en herbe, qui ont alimenté une Revue Littéraire Bis qui tenait la route face aux choix des vrais jurys?
Mais évidemment, un blog, c’est avant tout un plaisir personnel. Je suis un peu autiste dans la vie, je ne vois pas grand monde, j’aime la forme de relation qui s’établit avec le monde extérieur à partir d’un blog. Je ne cherche pas à rencontrer ceux avec qui je dialogue quotidiennement, cachés derrière leurs pseudos, c’est leur identité virtuelle qui me plait. Pour un éditeur, c’est très particulier, ne serait-ce que dans les relations avec les nouveaux auteurs, mais quand je lis l’incroyable correspondance d’un Jean Paulhan, je me dis que c’était un super-blogueur avant la lettre.
-Comment est née votre idée de la mise en ligne de manuscrits d’inconnus avec des votes et des commentaires des lecteurs internautes ?
Cette idée s’est imposée à moi à travers un dialogue avec une jeune femme qui avait téléphoné au bureau pour proposer un manuscrit et à qui il avait été répondu que nous ne prenions plus de manuscrits. Je ne sais pas qui avait fait cette réponse, mais je suppose qu’elle était le fruit d’une certaine exaspération face au harcèlement téléphonique auquel ce domaine sensible donne souvent lieu. Il y avait un courant sur le Net qui présentait les malheureux wannabe confrontés au “milieu hostile de l’édition” en proie au seul copinage. Mon interlocutrice s’appelait Barberine, elle avait écrit un premier roman et se demandait comment nous le faire parvenir. J’ai fini par lui proposer de me l’envoyer par mail et je lui ai dit que j’étais prêt à le mettre en ligne et à le soumettre aux jugements et aux commentaires de ses camarades de la blogosphère. Je pense que très peu d’auteurs auraient eu le courage d’accepter, Barberine a accepté. J’ai demandé à notre Webmaster (Tony Lesterlin) de nous bricoler une rubrique pour recevoir les M@nuscrits, pour pouvoir les télécharger, les lire en ligne en tournant les pages comme un vrai livre, les commenter, les noter etc.
Il y a eu 3.000 lectures en ligne et téléchargements du texte de Barberine dont le titre, à lui tout seul, valait une expérimentation : “Rater mieux” (d’après une réplique de Beckett). Puis Florent Georgesco a entrepris le travail éditorial avec l’auteur et j’ai décidé de créer une nouvelle collection (M@nuscrits) pour l’édition papier en librairie de ces textes venus du Net. Nous avons même créé un mot pour désigner cette nouvelle activité, nous l’avons appelée Rétropublication. “Rater mieux” sera en librairie le 15 octobre 2008, au milieu de la rentrée littéraire, c’est un excellent roman, j’espère qu’il permettra d’ouvrir la voie pour d’autres publications (j’aimerais commencer avec 4 à 6 livres par an).
Depuis (c’était au début de l’année) nous avons reçu des centaines de M@nuscrits, nous avons pu en mettre cent cinquante en ligne qui ont suscité des milliers de commentaires, pour tenir le rythme nous essayons de créer un logiciel qui permettrait aux auteurs de les mettre ne ligne eux-mêmes. C’est compliqué, mais nous y arriverons, c’est, je crois, un chemin quasi obligé pour l’avenir de ce métier, d’ailleurs d’autres éditeurs semblent avoir pris l’habitude de venir découvrir des textes puisque, de plus en plus d’auteurs m’écrivent, un peu gênés, pour me dire qu’ils ont reçu une proposition de publication d’un autre éditeur et qu’il faudrait retirer leur texte.
-Est-ce que cela peut amener à de réelles publications ?
Comme je viens de vous l’expliquer, c’est le but principal. Les gens ont cru, au début que c’était juste histoire de se débarrasser des 2.000 manuscrits par an qui arrivent chaque année à la maison d’édition. Maintenant, je crois qu’ils commencent à comprendre qu’il s’agit d’une adaptation du métier de l’édition à la mutation qui est en train de se dérouler sur le Net. Le but, c’est le livre, qui est, pour moi, indépassable, c’est cette croyance qui m’a conduit vers l’édition après vingt ans de nouveaux medias.
-Le monde de la télévision tel qu’on le connaît aujourd’hui ne vous tente plus ? Est-ce que depuis TV6 (que je regardais gamine, oui cela n’a pas duré longtemps mais je m’en rappelle encore !;), Antenne 2, Canal +, vous pensez qu’il faut ré-inventer la télé ?
Je ne dirais pas que c’est un univers qui ne me tente plus, j’y trouve toujours beaucoup de plaisir et de sources de réflexion, mais il me semble que contrairement au livre, la télévision est “dépassable”. Si gamine vous regardiez TV6 et qu’aujourd’hui vous vous baladez sur Myspace et téléchargez sur Itune, vous découvrez que dans le domaine de la musique, cette mutation est palpable. Cela sera également vrai, dans les années qui viennent pour le cinéma. Toutes les industries dites culturelles sont “dépassables” par le net (sauf le livre). Or la télévision n’est qu’un système de distribution de ces industries et devra donc se plier à la mutation numérique en profondeur. Mais il y a un autre aspect de la télévision qui porte sur la frontière entre privé et public. J’avais abordé ces questions dans le cadre de la Commission Campet qui en 1997 planchait sur l’avenir de la télévision publique. Dix ans après nous y sommes. C’est je crois le véritable enjeu de la télévision pour les années à venir. Mais pour bien l’aborder, il faudrait que l’Etat commence par avoir une vision claire de son propre rôle dans le domaine de la culture. Je pense que la France est dans une situation privilégiée dans ce domaine par son héritage et que c’est l’un de ses atouts pour l’avenir. Il faudrait une politique culturelle volontariste et la télévision peut en être un des principaux instruments, mais on se heurte ici à un autre héritage de nature idéologique qui fait qu’on confond toujours libéralisme économique et repli de l’Etat dans la culture.
-N’avez-vous pas l’impression que les médias ne s’intéressent qu’aux auteurs déjà reconnus ? Il est difficile aujourd’hui de connaître d’autres livres que ceux que l’on nous impose en tête de gondole, non ?
Oui, bien sûr, si on souhaite faire de l’audience, il faut des “bons clients”. Mais si vous allez sur le site de l’INA consulter les archives de la télé, les grandes émissions littéraires de la “grande époque” faisaient déjà ça. Même Pierre Desgraupe ou Pierre Dumayet, dans “Lecture pour tous” ne recevaient que les vedettes de l’époque, c’est normal. Ce ne sont pas des choses qu’on nous impose, ça va de soi. Par contre le numérique permet l’émergence de nouvelles vedettes comme il l’a démontré dans le domaine de la musique et c’est passé par l’effondrement des grands groupes qui ont mis du temps à comprendre.
-Vous aviez mon âge lorsque vous avez été nommé Directeur du groupe Havas, cela devait être un sacré bouleversement, ou avez-vous vécu cela comme une suite logique de votre parcours, études ?
Oui, mais le bouleversement était général. Ma génération, celle du baby boom et de mai 68 arrivait aux commandes dans une ambiance politique particulière. Difficile d’imaginer ce que fut la victoire de la gauche pour un groupe tel qu’Havas ou la CLT à l’époque. Mais effectivement, j’ai trouvé que c’était une suite “logique”, en même temps un peu surprenante : il faut se représenter les membres du conseil d’administration d’Havas quand je présentais le projet Canal+. L’un d’eux, (que je ne nommerai pas) m’avais demandé si ce serait comme dans les hôpitaux où on mettait des pièces quand on voulait regarder la télé.
-J’ai créé ma propre maison d’éditions cette année, pensez-vous (comme un autre éditeur dont je tairais le nom ici !:) que je suis folle de m’engager sur ce terrain, dans cette aventure ?
Ha, vous faites comme moi. J’espère bien pour vous que vous êtes folle, sinon, laissez tomber ce projet.
-Est-ce que vous comptez écrire un prochain ouvrage bientôt ?
Je suis en train : après avoir écrit ma version du premier roman de l’histoire de l’humanité : Gilgamesh (qui vient de sortir en Librio à 2€) j’écris, pour la même maison d’édition dirigée par Flossie Felix, un inédit qui sortira en janvier 2009 dont le titre est un hommage aux situationnistes : “Petit traité de savoir vivre à l’usage des blogueurs”.
-Quel serait pour vous le livre idéal ? Celui que chaque être pourrait garder en mémoire et évoluer avec lui ?
Je pense que ce sont les Essais de Montaigne, en tous cas ils ne me quittent pas et je les redécouvre en permanence. Je reprends par exemple “De l’art de conférer” dans mon petit traité, Montaigne retiré dans sa Librairie a vécu une expérience qui préfigure ce que nous allons vivre.
-Quel est votre genre musical, chanteur, groupe… préféré ?
J’aime bien tous les chanteurs, groupes etc, techno, rap, R&B, mais c’est très éclectique, j’ai été subjugué par Amy Winehouse, (j’en ai parlé tout de suite sur mon blog l’année dernière) mais j’aime aussi Mylène Farmer.
Mais si vous voulez vraiment savoir ce que je préfère c’est l’Opéra.
-Avez-vous un auteur favori ? Un livre de chevet ?
Proust. La recherche.
Mais c’est très difficile à comprendre, ça prend beaucoup de temps justement.
-Ma question finale est toujours la même :
Etes-vous un homme heureux ? Vous reste t-il encore des rêves à accomplir.
Vous rencontrer.
Photo Gérard Rancinan
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