Frédéric Mazé est né le 6 mars 1972 à Nîmes. Un hasard déroutant m’a fait le croiser lors du salon du livre 2008 de Paris.
Déroutant parce que ce jeune homme m’a interpellé alors que je m’apprêtais à commander un coca (et non pas une coupe de champagne comme le chante la légende !;)).
Il m’a donc simplement demandé si j’étais intéressée pour venir dans sa région autour d’une table ronde…
Certes non, ce n’est pas si étrange.
Enfin peut-être… Etant donné que je n’étais qu’une inconnue parmi tant d’autres auteurs inconnus ce jour là !;)
Mais ce qui m’a troublé et m’a rendue perplexe c’est son nom.
Un nom qui m’est cher et qui m’a inspiré l’un de mes personnages pour «Te souviens-tu de Nous ?»
Alors devant les hasards qui s’accumulent je ne pouvais pas résister au plaisir de l’interviewer…
Frédéric organise donc des évènements culturels pour la FNAC et le Domaine de Beauvois à Luynes où il a déjà reçu Edith Cresson, Laurent Hallier, Denis Seznec, Laurent Lèguevaque, Eric de Montgolfier… Mais il est avant tout un auteur et journaliste indépendant.
Auteur de trois ouvrages, il a tout d’abord publié un livre d'entretiens intitulé «Les sales dessous de Dame Justice» édité chez Regain de Lecture avec Laurent Lèguevaque, ex juge d'instruction qui a démissionné avec fracas en 2005.
Il vient tout juste de publier "Sous France", avec Dahina Le Guennan (ex-victime de Fourniret) et Laurent Lèguevaque (ex juge d’instruction) chez Villèle éditions.
Cet ouvrage contrairement à tous les autres ne s’intéresse pas aux Fourniret mais à leurs victimes et ne véhicule pas le vieil air: "tout va très bien Madame la marquise!" On aurait pu éviter tout ça!
-Tu es né à Nîmes ? Un nom comme le tien ce ne serait pas plutôt breton ?
Tu as raison Elisabeth… Je suis né à Nîmes dans le Gard : arènes, garrigues, frisures végétales, vallons et monuments romains à foison, voilà mon berceau en deux mots. Je n'y suis retourné qu'une seule fois pour visiter mon cousin d'adoption pilote d'avion, pilote de chasse ! J'ai été adopté par des bretons à deux ans et demi. Je porte donc un nom breton Mazé (ce qui signifie Mathieu). C'est pour moi l'occasion de dire ici tout mon amour de la Bretagne, de la mer, des îles et des tempêtes. L'adoption a été pour moi l'aubaine de me confondre avec cette terre, de prendre ses couleurs, sa musique, d’être caméléon...
-Frédéric, comment es-tu devenu journaliste ? Et surtout pourquoi ?
Je n'ai jamais pu exercer un seul métier, tenir un rôle public, porter une étiquette ou me soumettre à un label. Je ne crois pas une seconde à ces choses-là. Etre journaliste dans un organe de presse « c’est mourir pour des idées » ou «aller à la soupe»… J'aimerais tant qu'il en soit autrement. Constatez vous-même les relations collusives qui existent entre la presse et les politiques, la pipolisation des unions conjugales entre eux, les mariages entre vedettes de télé ou éditorialistes et hommes et femmes politiques ! On a rarement vu une vedette de télé épouser sous les projos un ajusteur fraiseur ! Il y a aussi la maladie des dogmes qui abîme tout... Je ne suis donc pas tout à fait un journaliste comme les autres pour les puristes. Non, je suis plutôt un homme en suspension, un point virgule, trois petits points, un mot sans terminaison. Si on parlait des étrangetés du cosmos on dirait ovni, voilà… J'ai commencé à m'intéresser aux autres en lisant ou en les écoutant. Lire est une manière de visiter des auteurs, de dialoguer avec eux, de rencontrer les personnages qu’ils ont créés. Je suis devenu journaliste comme on devient un homme : en observant, en lisant, en écoutant et en me disant qu'il était préférable de prendre quelques notes au passage. J'ai toujours été obsédé par la mise en forme, l'accessibilité aux autres, qu'il s'agisse d'intelligences prodigieuses, de vérités subtiles, de souffrances indicibles ou même de petits secrets malodorants...
-En quoi consistent tes enquêtes ?
Je rencontre des personnes qui ont subi une erreur de jugement. Jugement au sens judiciaire ou non. J'en suis arrivé à constater l'imposture de presque tous les jugements... Juger c'est mal, juger c'est impropre, juger c'est indécent. Pourtant, personne ne le niera, l'acte de juger est fondamental en société. C'est pourquoi il doit être encadré, il doit être mesuré, équilibré. C'est pourquoi il devrait être confié à des experts de la vie et non à des cerveaux grisâtres et besogneux... J'ai donc été amené à rencontrer un ex juge d'instruction, Laurent Lèguevaque qui a démissionné de son poste en 2005. Nous avons écrit ensemble : « Les sales dessous de Dame Justice ». J'ai voulu comprendre les raisons de sa démission et parler avec lui du mal dont souffre notre justice (fonctionnarisation des esprits, déshumanisation...). Nous avons aussi voulu proposer quelques pistes de réformes avant les présidentielles de 2007... Voyez le résultat ! Voilà en quoi consistent mes enquêtes, si on peut dire... Réfléchir aux possibilités, aux ouvertures en attendant que des élus enlèvent leurs boules Quies... Par la suite, j'ai croisé Dahina Le Guennan, une ex victime de Fourniret avec qui j’ai écrit (en collaboration avec Laurent Lèguevaque) « Sous France »… Nous avons proposé pour les victimes et leurs familles la création des postes d'auxiliaire de justice... Enfin, je partage un destin commun d'errance et finalement d'enracinement breton avec Kofi Yamgnane, le premier maire noir de France, ex secrétaire d'Etat à l'Intégration sous François Mitterrand. Nous avons donc commencé à travailler ensemble... Je n’enquête pas vraiment. J'écoute... Je rencontre ces hommes et ces femmes. Au fur et à mesure des entretiens je vois sortir l’âme et le feu qui les animent. J’essaie de comprendre les missions qu'ils s’assignent au regard de leur vécu et des destins qu’ils ont choisi de suivre. Je me renseigne... C'est certain, les trajectoires inspirées par un zef de liberté, d'autonomie, d'indépendance vis-à-vis des orthodoxies mornes m’intéressent... Vive les neurones libres !
-Comment passe t-on de journaliste à écrivain ?
On change de rapport au temps… L’évènementiel est un postulat en journalisme... On aime les drames... L'écrivain quant à lui explore les dialogues possibles entre l’Art et le Beau… On attise ses sens en tant qu'écrivain, on les contient, on les oriente en tant que journaliste... Ecrire, c'est un réveil de la créativité. On explore des pistes nouvelles... C’est exactement le contraire du métier de journaliste écrivain même si on pétri la même pâte : de témoin on redevient un créateur, on redevient un enfant exalté. On exclu l'homme adulte et rétréci qui fait le journaleu. De statutaire, d'homologué on redevient vivant, inclassable, inexorablement éveillé ! Emerveillé, parfois même...
-Les thèmes que tu abordes sont de véritables sujets d'actualité mais aussi de douleur, comment as-tu vécu ces divers entretiens et témoignages ?
Je les ai vécu dans l'empathie et la compassion. J'ai parfois eu beaucoup de difficultés à égrainer toutes ses souffrances, à les malaxer avec des mots, à soigner ces souvenirs urticants en composant des remèdes, des médicaments avec mes coauteurs... Mon objectif plutôt que de gamberger sur les douleurs est de les dépasser un peu, afin qu'elles transcendent un peu notre existence. Pour conclure, je crains tout de même que les « plus jamais ça » partout, ne fassent que s'accumuler comme des vieux chiffons imbibés d’essence dans des trous de mémoire... Un fou muni d'un briquet et c’est la catha ! J'ai peur qu'un homme seul ne sache pas frissonner sans détruire, sans cannibaliser son prochain, sans lui pourrir la vie…
-Quels éléments t'ont amené à écrire sur de tels sujets ? Une démarche personnelle, une demande ?
Pas des éléments vraiment mais la vie, le hasard des rencontres. Je suis sorti des couloirs stérilisés de l'Université pour vivre avec mes contemporains, rire avec eux ou souffrir ensemble… Lorsque j'étais étudiant en droit je ressentais un profond malaise... Face à de petits hommes gris qui péroraient sur des alinéas codifiés, sur des jurisprudences, au point d’en oublier même les principes fondamentaux, je lorgnais les exit lumineux des fonds d'amphi… Attention j'ai eu mon DEA ! Mais dès mon dépucelage, j'ai rencontré des hommes et des femmes, des vivants qui essayaient de réanimer ces obsédés textuels cachés derrière leurs binocles. Au passage... Je me demande franchement (entre nous Elisabeth) comment on peut faire une thèse sur la validité des actes administratifs sans absorber des drogues (même douces), des alcools ou des boîtes de cachets !...
-Penses-tu que lorsque l'on est victime de telles atrocités un procès peut aider à aller mieux ? Pour une victime, pour la famille qui reste ?
Un procès a pour objectif de reconnaître la souffrance des victimes (ou des familles) qui doivent obtenir réparation. Mais comme le dit Laurent Lèguevaque tout le monde ressort au mieux frustré d'un tribunal, au pire en colère... On ne va donc pas mieux après un procès mais généralement moins bien... Le mécontentement qui anime les justiciables a produit depuis une décennie des choses étranges. Les tribunes libres sont désormais préférées aux tribunaux étriqués. Je m'explique... Les livres (les éditeurs) par exemple permettent aux victimes d’exprimer ce que la justice est incapable d’entendre et les droits d’auteur se sont substitués de ce fait aux réparations souvent insatisfaisantes… A chacun sa souffrance ! A chacun son livre !
-Penses-tu que le fait d'écrire sa propre histoire puisse servir de thérapie ?
Oui dans le sens où écrire son histoire permet souvent de la réécrire, de la sublimer parfois ou d'en contraindre malheureusement les formes et le fond... En revanche, comme nous nous le disions tout à l'heure, sa propre histoire peut être d'utilité publique... Faut-il alors prendre le temps de la mettre en perspective et de la rendre utile aux autres ?
-Quelle est ta méthode de travail ? Que ce soit dans le milieu journalistique ou lorsque tu écris.
Pour l'écriture d'abord... La première étape est la prise de notes. Je prends des notes compulsivement sur de petits carnets… Ensuite, je peins des tableaux qui sont indépendants les uns des autres. Je constate peu à peu les thématiques qui m’obsèdent, les racines qui les nouent entre elles, les personnages qui émergent, les destins qui s'entrecroisent. Il me reste à les accompagner, à les structurer, à sculpter chaque silhouette. Jamais je ne sais à l’avance ce que je vais écrire, pas de plan sur la comète… Mon roman, « Le ver est dans le fruit » a été conçu ainsi, exactement… Mon projet ? Que ça sorte du livre, que ça jaillisse ! Pour le métier de journaliste ? J’écoute les réponses à mes questions. Peu à peu je ne vois plus que l'homme ou la femme derrière le costume, les postures. Je décèle parfois les petits arrangements, les verbiages, les fausses notes du discours, alors je rebondis. Je veux approcher le plus possible l’être qui est en face de moi. Normalement à la fin du livre, on est ami ami, ou on se déteste carrément !
-Tu sembles écrire autour de faits précis et réels, est-ce que tu penses, un jour, tenter une forme d'écriture ?
J'aimerais écrire les textes d'une comédie musicale, j'aimerais écrire des textes de chansons, des pièces de théâtre... A quarante ans on se retourne pour faire les comptes et faire la liste de ce que l'on ne sera jamais, ce que l'on ne fera plus. Il me reste quatre ans !
-Quels sont les auteurs que tu admires ? Ton livre de chevet ?
Céline est pour moi le meilleur, le plus abouti, l'étalon ! Le livre de chevet est le Voyage de Céline... Bien sûr Balzac est l’un de mes préférés aussi… J'ai aussi beaucoup de sympathie pour Jean-Edern Hallier, pour Xavier Grall des bretons, pour Aimé Césaire et Léopold Sedar Senghor des minoritaires...
-Côté musique, quels sont tes coups de cœur du moment ?
J'aime la variété française, les Brassens, Brel… Bien sûr la grande musique avec modération comme l'alcool et les clopes, quelques opéras, quelques joyaux par ci par là… Mais la musique pour moi passe par les mots... Lorsque j'évoquais Céline, je pensais au chant de son verbe. Je n’ai pas de coup de cœur en ce moment, aucun. Je vais commencer des analyses pour voir s’il cogne encore…
-Et sinon, tu es un homme heureux ? Il te reste des rêves à accomplir?
A peu près... Je rêve les yeux ouverts ! Quand ils se ferment, je m'oublie entièrement. Je ne me souviens de rien…
Bonjour Elisabeth,
Je ne connaissais pas ce monsieur, merci donc !
Je partage son point de vue sur sa conception du métier de journaliste. Il met le doigt sur quelque chose qui à mon avis est l'une des raisons du discrédit des journalistes, à savoir l'éditorialisme. La principale qualité d'un journaliste c'est de savoir écouter pour comprendre et relater des faits tels qu'il lui parviennent. Cette qualité permet de transmettre des infos sans jugement, d'être respectueux des personnes qu'il est amené à rencontrer en étant fidèle à leurs propos. Pour cela il faut savoir s'effacer, laisser son égo dans sa poche. Ecrire un livre est donc une bonne occasion justement de s'exprimer en son nom et de marquer la différence avec un travail de rapporteur et de collecteur d'infos.
Rédigé par : Ceucidit | 26 mai 2008 à 10:47
Très jolie interview. Ce type m'a l'air très sympathqiue, mais en même temps, on s'en fout un peu, qui que non, mais surtout il parle très bien de son travail (ou bien tu le fais très bien parler de son travail !).
Rédigé par : MERLINBREIZH | 27 mai 2008 à 23:50