Un regard tout simple sur la vie…
J'ose, je crois…
Le passé ne me tue plus, demain je serai plus forte que Lui…
Que les souvenirs peuvent être difficiles à oublier. Et pourtant pour faire de sa vie, une vie, une belle vie il vaut mieux rayer de son passé les salissures et les brisures.
Comment dire à cet enfant que non, que le monde ne ressemble pas à son cauchemar incessant ?
Il y a des éclats de malices dans les yeux de tous ces petits chenapans, pourquoi dans les siens ce sont des éclats de verre, de vérité que personne ne veut entendre…
Les petites filles ont des robes à volants qui tournent et les font ressembler à des anges, leurs cheveux tressés qui s'étiolent dans leurs rires, leurs lèvres roses comme des bonbons nacrés, leurs joues rougissantes après la course effrénée dans les champs…
Les hommes ne résistent pas, les pères sont fous de leurs princesses…
Pourquoi cette petite n'a pas le sourire aimé de confiance, l'âge de l'enfance…
Pourquoi a-t-elle si peur ?
Les mains sur ses yeux, elle joue à 1…2…3... soleil… Et puis lorsqu'elle se retourne, plus personne ne bouge…
Plus personne sauf le loup… Le loup si vicieux avec ses grandes dents et son air diabolique.
Ma fille pourquoi avoir peur des loups ? Ils vivent si loin dans les forêts…N'aie pas peur mon enfant, je serai toujours là pour te protéger.
Toujours, toujours…
« Toujours » inverse de jamais, et lorsque le danger est déjà là, tapi sous le même toit, comment éviter qu'il ne l'attrape ?
Une nuit, un homme entre, il la regarde, elle dort, son souffle est tendre, tout son être semble si doux… Ses longs cils cachent ses si jolis yeux noisette.
Elle semble si seule au milieu de ses rêves, tout est rose, la chemise de nuit, la couette qu'il soulève…Les mains qui touchent, les cuisses frêles de la fille…
Et puis une seconde de réveil, le regard apeuré, la frayeur, pourquoi ?
Pourquoi Lui est-il là ?
Il la regarde, il ne la voit pas, elle n'existe plus…
Elle cherche un peu de pitié, elle voudrait qu'il arrête, qu'il cesse de la toucher… Ce n'est pas bien, il ne devrait pas… Est ce que sa mère sait que son amant est là ? Elle qui dort dans la chambre juste à côté…
Peut-être s'est-il simplement trompé, il a poussé la mauvaise porte…
Oui c'est forcément cela, il a oublié que ce n'était pas la chambre de sa mère.
Ferme les yeux gamine, oublie, oublie que ta vie ne sera plus jamais la même et que le silence deviendra bientôt ton refuge… Ton endroit rien qu'à toi où jamais plus on ne te jugera.
Les souvenirs sont faits pour se griser, d'autres viendront bientôt couvrir ce moment… Bientôt tu grandiras et tu comprendras que le loup n'existe pas, que tu peux te battre et survivre à tout cela. Que tu peux être plus forte que Lui, le piéger pour que jamais plus il ne pousse une autre porte.
Savoir tuer le loup qui sommeille en l'homme…
Elle n'a pas eu le choix, ce n'est pas vrai que l'on a toujours le choix, que l'on fait de sa vie ce qu'on veut qu'elle soit… Non impossible de subir une telle punition ! Elle n'avait pas bien fait ses devoirs ? Oublié de ranger un jouet ? Et alors, tout ceci la rendait-elle méritante de coups, d'abus ?
Le loup ne mange pas forcément, il prend son temps, sa morsure est délicate, elle est invisible aux yeux des autres.
Pourquoi son regard semble si noir, où sont les noisettes et les étoiles ? Il y a quelque chose de cassé chez cette gamine, mais quoi ?
Elle respire encore, elle vit, elle rit, elle pleure, elle joue… Tout fonctionne à merveille…et pourtant si l'on s'attache à son regard, dans son univers il y a quelque chose de cassé…
Elle connaît l'histoire de Cendrillon et du petit chaperon rouge par cœur, elle sait qui est le méchant et qui est le gentil, mais Lui elle ne sait pas… Sa mère est amoureuse, elle est heureuse.
Se taire.. Ce n'est même pas la véritable question.
Elle se demande simplement ce qu'elle a fait de mal pour se sentir si lasse, si sale, elle a beau multiplier les bains, les douches et refuser les câlins, elle se sent si brisée…
Huit années d'une toute petite vie, huit années de sursis face au loup…
J'ai grandi depuis, j'ai vécu bien d'autres événements douloureux, mais pourtant celui-ci, ce crime impuni me reste en travers de la gorge, et chaque jour qui passe je ressasse.
Je suis une jeune femme heureuse, une maman épanouie, je vais de l'avant, je succède à mes échecs des expériences pour me défendre de ne pas tout comprendre.
Il est des vies que l'on croise sans jamais deviner leurs pensées, des destins que l'on change.
Qui a oublié de changer ce moment dans le livre de ma vie ? Qui a laissé cette page blanche devenir rouge ?
J'aimerais pardonner, mais ne l'ai-je pas déjà fait en refusant de dénoncer par amour une mère abandonnée de tous ?
Quelques piqûres d'insectes, là où ça brûle, des orties qui frottent mes jambes, les colonies de vacances. Les fous rires avec les copines, les premiers baisers, les sorties à la patinoire… Un monde terriblement séduisant pour une adolescente en mal d'amour.
En réalité, le passage du loup ne m'a pas empêché de vivre et de grandir, il a laissé une ombre sur ma pudeur et une crainte des hommes âgés de la quarantaine… Mais pas grave, à vingt ans mes petits amis n'avaient pas le profil… Les pères oui, ah tous ces pères détestables, heureusement que le mien était le meilleur… Oui mais merde, la vie l'a sacrifié au nom d'une saleté de signe du zodiaque !
Donc me voilà face à moi-même devant le miroir : Alors Lili tu te trouves jolie aujourd'hui ? Ce corps si blanc te plaît ? ces cuisses qui ressemblent à deux énormes jambons ? Hum adorable ce portrait, surtout si l'on rajoute ce ventre qui pendouille ? Bravo, dire que ce résultat a été obtenu sans effort ! Magnifique ma fille, tu vas pour sûr devenir un top ! Et tes cheveux, t'as vu ta coupe?
T'as vu ta tronche ? Non mais tu t'es regardé ce matin, allez file, va te cacher tu ne ressembles à rien ! Ah si peut-être un vieux monstre dégoûtant, enfin heureusement déjà tu te laves, comme ça tu sens bon le propre !
Cachée sous la couette, j'ai faim, et un paquet de bonbons Régalad, hum ce sont vraiment les meilleurs, oui mais j'ai mal au ventre à présent ! ! Pas grave, de toute façon il est moche ton ventre, et ton nez ? T'as vu comme il déborde sur tes joues ?
Avoir seize ans et se détester ce n'est pas si facile que ça à accepter… Et puis le temps passe. Allez on va trouver l'excuse du loup, c'est pour ça que je me supporte plus, c'est à cause de Lui, hein oui ? ?
Les études, les échecs, bon ok c'est un lot, tu as tout pris ?
Oui mais c'est la faute du loup ?
Il m'a quitté, papa il a dit : je ne t'aime pas !
J'ai pleuré dans ses bras, et il n'a pas dit un mot… Il m'a consolé, il m'a regardé, le cœur pincé de ne pas savoir quoi faire pour sauver sa fille de cet amour gâché.
Elle, elle s'est dit qu'il la rejetait à cause du loup…
Le boulot, les heures à servir multitude de clients, à sourire pour avoir la pièce, comme un chien qui rapporte le bâton la queue remuante.
Les mecs, un, deux, puis certains qui comptent…
Le premier appart avec l'homme de sa vie, mince il se barre avec une autre… la faute au loup…
Un autre homme, un mariage, un enfant…C'est bien parti cette fois-ci le loup est enfin parti…
Pourquoi il crie, pourquoi il se met à hurler ? A taper, qu'est ce qu'il n'aime pas ? Mes cheveux ? Mon caractère ? Mes sourires abîmés ?
Pas grave je vais trouver un homme gentil, un homme qui me dit qu'il voit des étoiles dans mes regards !
Bah mince lui aussi je n'arrive pas à le retenir…
Mais qu'est ce que j'ai qui cloche ! saleté de loup, mais tu vas te barrer oui ? !
Je suis une jeune femme épanouie, je n'ai pas de raison pour ne pas savourer le bonheur d'être en vie, les sourires de mon enfant m'apportent tant…
C'est si bon de s'asseoir là sur le banc, le regarder jouer, ignorer les tourments qui l'attendent… Non chut, ne pense pas au mal, profite du temps présent…
Profite, profite, profite…
Mon gamin m'a dit hier qu'il avait fait un cauchemar… Je lui ai demandé de quoi il s'agissait.
Il m'a dit :
- Maman il y avait un loup qui me suivait partout, j'ai voulu le taper, j'avais si peur. Et puis tu es venue et tu m'as sauvée ! Mais j'ai quand même eu peur tu sais.
Moi :
-C'est normal mon cœur, les loups font peur, mais rassure-toi ils vivent loin dans les forêts et je serai toujours là pour toi, pour te sauver de tes cauchemars.
Je me suis levé ensuite, je me suis remise devant le miroir :
Alors Lili elle est comment ta vie aujourd'hui ?
Belle, elle est belle , mon fils m'aime, il ne voit en moi que de la lumière, je le rassure, je viens même le sauver durant ses nuits.
C'est la nuit que les loups sortent, mais mon gamin lui il ne verra jamais le vrai visage du loup, je sais désormais qu'on peut se faire la vie que l'on veut, on peut aimer et être aimé sans avoir peur. Le malheur n'arrive pas qu'aux autres, et le bonheur, à toi de le faire venir.
Allez Lili regarde-toi en face et dis-moi que tu trouves jolie ! !
J'ai regardé mes pieds, j'ai remonté mes mollets, mes genoux, tiens il reste une cicatrice de cette chute de vélo quand j'avais 12 ans, puis les cuisses, oui elles passent, le sexe : j'ai eu du mal… Le ventre, il n'est pas tout plat mais j'ai enfanté moi !
Les hanches : larges, c'est le sang méditerranéen disait mon père. La taille, pas de guêpe, mais on fera avec.
Mes seins, mince! Qu'ils sont blancs, mais doux et bien faits, les épaules : couvertes de tâches de rousseur : après tout c'est charmant qu'il
me dit mon nouvel homme de ma vie.
Les bras : bah! Les bras ils vont avec le reste hein !
Le cou : long, joli port de tête, les joues : tachées aussi ! Les yeux : ils sont noisettes ou noir ?
Les cheveux : je les détache et je les vois avec leurs reflets dorés.. les cils…A quoi servent les cils tiens ? Ils protègent de quoi quand on dort ?
Ils ne protègent de rien, ils sont là pour faire joli. Alors Lili ?
Jusqu'ici ça va, je peux déjà me regarder sans pleurer…
Ma bouche semble presque évaporée, il faut que je redessine les contours. Un peu de rouge, un coup de peigne… Je pourrais presque oublier que ce n'est que moi, si seulement j'acceptais de laisser partir le loup.
Mon fils m'appelle :
-Maman, tu viens !
Il a l'air d'insister, mais à quoi je pense moi ?
-Maman, on va faire du vélo ?
-Oui si tu veux !
-Au fait, tu sais quoi ?
-Non.
-Je n'ai plus peur du loup…
Je souris, je le regarde :
-Moi non plus mon cœur, je n'ai plus peur du loup…
Gamine (tous droits réservés: Elisabeth Robert)
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